Dans la nuit de lundi à mardi, un policier a tiré sur un automobiliste dans le Val-d’Oise à la suite d’un refus d’obtempérer. En le blessant au dos. Une affaire qui fait écho à celle survenue samedi à Paris, où une femme, assise sur le siège passager, a été tuée par balle par des policiers qui sont sortis de garde à vue mardi.
Ces refus d’obtempérer face à la police se multiplient-ils ? La police y répond-elle correctement ? Ces policiers sont-ils eux-mêmes plus menacés par les automobilistes ? Sebastian Roché, directeur de recherches au CNRS et auteur de La Nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police (récemment paru chez Grasset), revient pour nous sur ces questions.
Est-il vrai que les refus d’obtempérer sont en hausse, comme ont pu récemment le dire les syndicats de police après les récents incidents ?
Le ministre (de l’Intérieur, Gérald Darmanin, NDLR) ou les syndicats appellent « hausse » un phénomène qui est présent. Ils confondent le dénombrement et l’évolution. Ils ne s’embarrassent pas avec la précision ni avec les détails, et ne font jamais réviser aucune étude. C’est l’approche française. Les syndicats de police en Grande-Bretagne vont rendre des travaux d’analyse qu’ils vont partager avec le public. En France, les syndicats vont sur les plateaux et balancent des chiffres mais ne produisent aucun document carré, avec des sources et des valeurs qui varient dans le temps.
Un refus d’obtempérer « toutes les 20 minutes » ?
Selon le bilan de l’accidentalité 2020 publié par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, 17.432 refus d’obtempérer ont été enregistrés en 2018, soit un toutes les plus de trente minutes.
Dans un rapport publié par le Sénat, il y aurait eu en 2020 13.000 refus d’obtempérer, soit un toutes les 41 minutes, comme le souligne franceinfo.
Le chiffre d’un refus d’obtempérer toutes les 20 minutes avancé ces derniers jours par plusieurs syndicats de policiers est potentiellement lié aux données de 2018 de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, qui évoque 29.485 « infractions visant à échapper à un contrôle ». Mais parmi celles-ci, on trouve également les délits de fuite ou encore les refus de se soumettre à un test d’alcoolémie.
Le nombre de personnes tuées par la police lors de refus d’obtempérer est-il en hausse ?
C’est difficile à dire car on a uniquement des comptages partiels et très récents de la part du ministère de l’Intérieur. C’est à partir de 2018 que l’on a commencé à publier des totaux annuels de personnes décédées au cours des opérations de police. Avant cette date-là il n’y avait aucune publication officielle. C’est un progrès qu’on ait des chiffres mais ça reste très pauvre : on a juste un total annuel qui monte ou qui descend et on ne connaît pas les motifs précis de leur mort. À côté de cela, on a des comptages des décès depuis 1977 faits par des collectifs de citoyens ordinaires sur la base de l’ensemble de la presse régionale et nationale. Leurs chiffres sont proches de ceux de l’IGPN. On sait que ces cinq dernières années, il y a eu quatre ans où plus de 25 personnes ont été tuées par la police ou la gendarmerie. C’est sans précédent depuis 1977.
La loi de 2017, qui assouplit notamment les critères de légitime défense des policiers vis-à-vis des conducteurs qui n’obtempèrent pas, peut-elle conduire à une augmentation du nombre de blessés par des policiers ?
Aucune étude ne démontre cela, mais cette loi peut potentiellement être interprétée par certains policiers comme une sorte de permis plus large de tirer, notamment chez les jeunes policiers inexpérimentés.
Qu’en est-il du nombre de policiers tués sur ce type d’intervention : a-t-il augmenté ces dernières années ?
Le nombre de policiers qui sont tués en mission a lui été divisé par deux en vingt ans. Même si c’est toujours trop, les policiers français sont très peu tués durant leur travail. Mais la plupart des décès ont lieu au cours de contrôles de véhicules. Les chiffres ne permettent pas de savoir s’il s’agit de refus d’obtempérer, de véhicules qui ne s’arrêtent pas ou d’accidents.
Qu’est-ce qui pousse les personnes à refuser d’obtempérer et fuir la police plutôt que de s’arrêter ?
Il y a plusieurs motifs. Il peut y avoir la peur, lorsque les gens se disent « je vais être contrôlé, ça va mal se passer, les policiers vont être agressifs. Un deuxième motif pourrait être le fait que l’on n’a pas confiance, on se dit que la police ne va pas faire son travail de manière juste et va juger à la tête du client. Et puis il y a les personnes qui veulent s’échapper parce qu’ils ont beaucoup à perdre, on parle de banditisme. Ce qui n’était pas le cas, je crois, de Paris.
Que faudrait-il ? Une meilleure formation des policiers ? Des données plus fournies sur les refus d’obtempérer ?
Si on avait plus de données, cela permettrait de faire un meilleur diagnostic parce qu’aujourd’hui, on a un déficit d’informations. Ce qui fait qu’on a un débat public sur la question qui est le même depuis 30 ans… Mais c’est multifactoriel : il y a aussi une baisse du niveau de recrutement des policiers, un raccourcissement de leur durée de formation, un entraînement insuffisant à l’usage des armes.
Dans vos travaux, vous faites souvent des comparaisons entre la police française et la police chez nos voisins européens. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas en France ?
On voit que la police allemande tue moins que la police française, proportionnellement à la population des deux pays. En Norvège et en Suède, presque personne n’est tué par la police. En fait, il y a beaucoup de pays dans lesquels la police utilise beaucoup moins d’armes. En France, on est dans une configuration dans laquelle la police a été progressivement orientée vers plus d’agressivité vis-à-vis des citoyens. Ça s’est fait par étapes, notamment avec des décisions politiques, comme la fin de la police de proximité basée sur le dialogue, l’équipement des BAC avec des LBD sous Sarkozy… En France, on a une accentuation de l’usage des armes.