Inès était présente à l’arrière de la voiture visée par les policiers samedi dans le 18e arrondissement de Paris. La jeune femme de 21 ans livre son témoignage à franceinfo. Si elle reconnaît que le conducteur était « en tort », Inès reste convaincue que les policiers n’ont « pas su garder la tête froide ».
Un témoignage exclusif dans l’affaire du refus d’obtempérer samedi 4 juin, dans le 18e arrondissement de Paris. Inès, la passagère arrière de la voiture visée par des tirs de policiers livre son récit, mercredi 8 juin, à franceinfo. « Je suis en colère parce que les policiers auraient pu faire autre chose », confie cette jeune femme de 21 ans, étudiante pour devenir esthéticienne. Son amie Rayana, passagère avant du véhicule, a été tuée d’au moins une balle dans la tête. Elle avait 21 ans. Le conducteur, âgé lui de 38 ans, a été grièvement blessé au thorax. Les deux jeunes femmes ne connaissaient pas le conducteur et son ami. Ils s’étaient rencontrés quelques instants auparavant lors d’une soirée dans le quartier Pigalle à Paris.
Si les trois policiers, entendus pendant 48 heures en garde à vue, sont ressortis libres, une information judiciaire a néanmoins été ouverte mardi à leur encontre. L’avocat des policiers, Laurent-Franck Liénard, affirme sur franceinfo que le témoignage d’Inès « n’est pas conforme aux éléments objectifs du dossier », notamment des vidéos « dans lesquelles on entent parfaitement les injonctions et les sommations », dit-il. Des témoignages recueillis par franceinfo avant celui d’Inès contredisent la version des forces de l’ordre, et assurent que le conducteur n’a pas « démarré en trombe ».
franceinfo : Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé samedi ?
Inès : J’étais avec mon amie Rayana, une copine très proche. On a décidé de sortir vers 6 heures du matin en « after » sur Pigalle. On était avec des amis qui sont rentrés un petit peu avant nous, donc on est restées avec leurs amis. On n’avait plus assez d’espèces pour rentrer. Ils ont proposé de nous raccompagner. On a mis l’adresse de Rayana en premier dans le GPS. Au niveau de Clignancourt, trois policiers à vélo ont toqué à la vitre du conducteur parce qu’il ne portait pas sa ceinture de sécurité. Il n’a pas voulu baisser sa vitre. Il a accéléré et s’est arrêté 30, 40 mètres plus loin à cause de la circulation. Il y avait notamment un bus devant nous.
Quand on lui dit de s’arrêter, il nous répond qu’il n’a pas le permis. Il est un peu paniqué, un peu stressé et je vois deux policiers se mettre au niveau des vitres, devant. Tout est allé très vite. Je n’ai même pas entendu « Sortez de la voiture » ou « Mains en l’air ». Ils ont cassé les vitres en tapant avec leurs armes. La scène était très violente. Le conducteur n’a même pas eu le temps d’enlever les mains du volant.
« On a entendu des coups de feu, la voiture qui repart. Tout cela s’est passé en même temps. La voiture n’est pas d’abord partie et ensuite ils ont tiré, c’est en même temps. »Inès
Ils ont dû tirer une dizaine de coups de feu, ça a duré longtemps.
Que s’est-il passé ensuite ?
Ensuite, le conducteur a avancé, brutalement cette fois, il a foncé dans une camionnette blanche, ce qui l’a arrêté. On lui a dit : « Abandonne la voiture, laisse-nous, c’est entre toi et eux, nous, on est des victimes ». On lui a dit : « Il faut que vraiment tu nous laisses ». Il est parti en courant. J’ai cru que ma copine Rayana, qui était sur le siège devant moi, était tombée dans les pommes. J’ai essayé de l’appeler plusieurs fois en criant son prénom à voix haute. Son corps était lâche. C’est là que j’ai vu son cou rempli de sang. Je n’ai même pas eu le temps de bien réaliser et de la prendre dans mes bras. La police est arrivée derrière nous. Ils nous ont braqués en disant : « Mains en l’air, mains sur la tête », ce qu’ils auraient dû dire la première fois pour nous laisser une chance, peut-être, de sortir. Ils auraient pu essayer de nous protéger et d’arrêter le conducteur.
« On était en état de choc, on criait. C’est là que j’ai réalisé que Rayana avait pris une balle. Les policiers n’étaient même pas vraiment coopératifs avec nous, sans nous demander si on allait bien. »Inès
Ils nous ont fait sortir de la voiture. Ils nous ont menottés. Ils nous ont laissé sur un coin de la scène, plus de trois heures en plein soleil, devant la foule. On ne nous a pas laissés voir de médecin.
Quels sentiments éprouvez-vous ?
Je suis en colère parce que les policiers auraient pu faire autre chose. La personne est en tort, mais ils n’étaient pas obligés de tirer directement. En venir à tirer sur quelqu’un, surtout lui tirer dans la tête, c’est en dernier recours. Il y avait des bouchons, la circulation, le véhicule ne pouvait pas aller bien loin. Le conducteur est en tort, il est tout à fait en tort, mais quand il a fait sa course-poursuite, il n’a tué personne. Personne dans la rue n’a été blessé ou renversé. J’ai perdu une amie devant moi. C’est triste également pour sa famille, ses amis. Maintenant on va se battre pour la justice.
De nombreux responsables politiques se sont emparés de ce dossier. Est-ce important pour vous ? Etait-ce nécessaire ?
C’est bien que cette affaire prenne une tournure politique. Cette histoire-là, il faut qu’on en parle. Le plus important c’est qu’il y ait des gens de notre côté qui comprennent qu’on n’était pas obligé d’en arriver là. Ça montre qu’on est soutenus. Moi, je ne connaissais pas le conducteur, mais je pense que cela peut arriver à tout le monde d’avoir un coup de stress.
« Si on mettait une balle dans la tête à tous les gens qui refusent d’obtempérer, je pense qu’on tuerait beaucoup de gens chaque année. »Inès
Il était 10h30 en plein Paris. Il y avait d’autres gens dans la rue, des enfants notamment. Un enfant, une mère de famille, n’importe qui aurait pu prendre une balle perdue. Les policiers n’ont pas pensé à ça. Ils n’ont juste pas su garder la tête froide. Ils ont perdu le contrôle. Quand on porte un insigne, on est censé garder la tête froide au maximum.
Que vous inspire le fait que les policiers soient ressortis libres de garde à vue ?
Quand j’ai appris que les policiers ressortaient libres de leur garde à vue, j’étais assez nerveuse quand même. Maintenant, je peux comprendre que toute cette affaire se jouera plus tard. C’est une juge qui décidera. Pour l’instant, les policiers sont sortis, c’est comme ça. On ne peut pas faire autrement. Il y aura une enquête qui sera faite. On n’a pas le choix. On ne peut pas faire justice nous-mêmes. On ne peut pas aller dénigrer les gens, ça se réglera dans un tribunal. On est là pour Rayana et c’est pour elle qu’on se bat. C’était une bonne personne. Elle n’avait que 21 ans. Elle avait une famille. Elle était belle. C’était quelqu’un qui souriait tout le temps. C’est une victime dans l’histoire. Elle ne méritait pas tout ça.