La cour d’assises du Bas-Rhin a suivi les réquisitions de l’avocat général en écartant la version des «coups mortels» soutenue par l’accusé.
Dans sa plaidoirie, Me Francis Metzger, l’un des avocats de Jean-Marc Reiser, avait demandé aux juges et aux jurés de ne pas condamner son client à une «mort blanche». Il n’a pas été entendu. Ce mardi, après seulement deux heures et demi de délibéré, Jean-Marc Reiser a été reconnu coupable de l’assassinat de la jeune Sophie Le Tan, le 7 septembre 2018 à Schiltigheim (Bas-Rhin). Le sexagénaire a écopé de la réclusion criminelle à perpétuité, avec 22 ans de sûreté, comme l’avait requis l’avocat général. La famille de la victime s’est déclarée «satisfaite» et «soulagée» de ce verdict. «Justice a été rendue», a-t-elle réagi à l’issue de l’audience.
Jusqu’au bout, Jean-Marc Reiser a nié toute intention homicide et toute préméditation. «Il n’y avait aucun acte délibéré de ma part le jour des faits, ni dans les jours précédents d’ailleurs. […] Dans cette fureur, cette violence, il n’y avait rien de prémédité. […] Je suis coupable d’avoir provoqué la mort de [Sophie Le Tan] même si je ne l’ai pas voulu», a-t-il indiqué au cours d’un monologue long de près de dix minutes ce mardi matin, lorsque le président lui a donné la parole en dernier.
«On me présente comme un monstre que je ne suis pas», a insisté l’accusé, qui a dénoncé un «lynchage médiatique» mais a salué l’«immense dignité» de la famille de la victime. «Je sais bien qu’ils ne pourront jamais me pardonner. Je leur demande pardon mais je sais que tout ce que je pourrais dire ne changerait pas grand-chose. Je réagirais comme eux si c’était arrivé à ma fille», a-t-il ajouté. Au cours de l’audience, les parents, le frère et la sœur de la victime se sont qualifiés de «désintégrés» par la mort de Sophie, «pilier» de cette famille très modeste d’origine vietnamienne.
Un «rendez-vous avec la mort»
Pendant sept jours, du 27 juin à ce 5 juillet, la cour d’assises du Bas-Rhin s’est plongée dans les événements de septembre 2018. À cette époque, Sophie Le Tan, en deuxième année d’économie-gestion à l’université de Strasbourg, cherche un logement. En surfant sur Le Bon Coin, elle tombe sur une petite annonce pour un appartement à Schiltigheim, une commune proche de Strasbourg. Le 4, elle entre en contact avec le prétendu loueur, avec lequel elle échange par téléphone et SMS.
Le 7 au matin, Sophie Le Tan quitte l’hôtel strasbourgeois où elle travaille comme réceptionniste de nuit en parallèle de ses études et prend la direction de Schiltigheim. Mais en e jour de son vingtième anniversaire, c’est un «rendez-vous avec la mort» qui l’attend, selon l’expression d’un des avocats de sa famille, Me Rémi Stéphan. Elle ne ressortira pas vivante du 1, rue Perle, domicile de Jean-Marc Reiser.
Très vite, l’entourage de l’étudiante s’inquiète. Il n’est pas dans les habitudes de Sophie, très proche de sa famille, de ne pas donner de nouvelles. D’autant plus qu’elle devait se rendre à Mulhouse après sa visite immobilière pour fêter ses 20 ans avec sa mère et sa sœur. Sa disparition est signalée aux autorités et les recherches commencent. Grâce à un «énorme travail» sur des annonces immobilières et la téléphonie, les enquêteurs remontent la piste de Jean-Marc Reiser, qu’ils interpellent le 15 septembre.
Des déclarations évolutives
L’homme, alors âgé de 57 ans, n’est pas un inconnu de la justice. S’il a été acquitté en 2001 dans l’affaire de la disparition d’une jeune femme, Françoise Hohmann, il a été condamné deux ans plus tard à 15 ans de réclusion criminelle pour des viols. Sorti de prison en 2010, il a travaillé quelques années avant de reprendre des études en archéologie puis en histoire de l’art. Le suspect commence par affirmer qu’il n’a «rien à voir» dans «cette affaire». Pourtant, l’ADN de la disparue est découvert à son domicile.
Le 5 octobre, il modifie ses déclarations. Le 7 septembre, il aurait croisé Sophie Le Tan qu’il connaissait de l’université. Blessée à la main, cette dernière lui aurait demandé de venir panser sa plaie, ce qu’il aurait accepté. Elle serait montée dans son appartement, aurait nettoyé sa blessure dans la salle de bains et serait ensuite repartie. Cette version ne convainc personne, d’autant plus que quelques mois plus tard, l’ADN de la jeune femme est retrouvé sur le manche d’une scie à métaux qui se trouvait dans la cave du mis en cause.
Le 23 octobre 2019, une partie de la dépouille de Sophie Le Tan est découverte par hasard en forêt de Rosheim par une famille à la recherche de champignons. Jean-Marc Reiser persiste à nier avoir tué la jeune femme. Le 19 janvier 2021, il change finalement de version. Il explique désormais que l’étudiante serait venue visiter son appartement et aurait utilisé les toilettes. En lui apportant une serviette, il aurait voulu lui «faire la bise» et elle se serait «méprise sur ses intentions». Elle l’aurait insulté, il l’aurait giflé, elle se serait mise à hurler.
«Ce n’était pas un incident regrettable»
Jean-Marc Reiser aurait alors «perdu les pédales» et aurait frappé à coups de poing et de pied l’étudiante, qui serait tombée au sol. Constatant son décès, il aurait alors décidé de la démembrer, plaçant les morceaux de son corps dans des sacs-poubelles puis dans des valises. Il aurait stocké les valises à la cave pendant quelques jours, avant de dissimuler le cadavre en forêt.
Durant les sept jours de son procès, le mis en cause s’en est tenu à cette version des «coups mortels». De leur côté, les conseils de la famille Le Tan et l’avocat général ont fait valoir leur conviction que la mort de Sophie avait été voulue et préméditée. «Ce n’était pas un incident regrettable, comme Jean-Marc Reiser l’a dit vendredi», a notamment déclaré le représentant du ministère public dans son réquisitoire. «C’est bien dans un piège qu’elle est tombée.»
Après avoir entendu chacune des parties ainsi que de nombreux experts et témoins, les trois juges et les six jurés ont finalement estimé eux aussi que Jean-Marc Reiser avait bel et bien assassiné Sophie Le Tan. Et l’ont condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec une peine de sûreté de 22 ans, le maximum encouru. Le sexagénaire dispose de dix jours pour faire appel. «Nous allons prendre le temps de la réflexion», a fait savoir Me Xavier Metzger, un des avocats de la défense.