Dépouillée de ses bijoux, menacée avec un couteau en plein jour dans l’indifférence générale, la violoniste virtuose Julie Berthollet, 25 ans, installée dans la capitale française depuis cinq ans et demi, a vécu un choc alors qu’elle allait prendre le métro.
– «Jeudi 23 juin, vous avez fait part sur votre compte Instagram d’une agression à Paris. Que s’est-il passé?
– Julie Berthollet: La veille, à 7 heures, en sortant de chez moi, boulevard Rochechouart, dans le IXe arrondissement, je cherchais un taxi afin de me rendre à la gare de Lyon pour prendre le TGV en direction de Genève. En bonne Suissesse, j’avais une demi-heure d’avance. Soudain, un jeune homme s’est approché de moi et a tenté de voler mon téléphone. Comme j’ai de la force dans les mains, grâce à ma pratique du violon, j’ai résisté. J’ai serré mon iPhone et j’ai crié: «Ça va pas? Espèce de lâche!» L’individu est parti. Ensuite, par réflexe, j’ai utilisé les gestes barrières: j’ai mis mon téléphone au fond du sac, mon sac en bandoulière devant moi. Jamais sur le côté, jamais derrière.
– Quelqu’un a-t-il réagi?
– Aux alentours, il y avait de la circulation, des livreurs, mais personne n’a bougé. C’est banal. Les gens sont tellement habitués aux vols de sac à main et de téléphone… J’ai positivé en me disant que ça allait bien se passer. Je sais que le quartier n’a pas bonne réputation, mais je n’ai aucun préjugé. Je me suis mise sur le côté le plus lumineux de la rue et le plus exposé. A la station, comme aucun taxi ne venait, j’ai appelé un Uber, mais il a annulé la course. J’avais une valise avec moi, plus un petit sac dans lequel je mets mon chat, Hoshi. Je n’avais pas mon instrument.
– Comment avez-vous rejoint la gare?
– En métro. En bas des marches de la ligne 4, un homme m’a dépassée et m’a regardée avec un air mauvais, plein de haine. Il m’a dit: «Toi, avec tes parures!» J’avais deux colliers, un bracelet et trois bagues, comme toutes les filles. Il a tendu les deux mains et m’a brusquement arraché le bracelet et les colliers. J’ai perdu l’équilibre et je suis tombée. J’ai une griffure au cou. J’ai eu le réflexe de me relever. J’ai couru en remontant les marches dans le but de le rattraper. L’un des deux colliers est en or. Il a une valeur sentimentale, je l’ai reçu de ma mère à ma naissance. Au même moment, le type a sorti un couteau. Les usagers montaient et descendaient. Ils s’écartaient même en lui laissant assez d’espace pour m’agresser…
– Qu’avez-vous ressenti?
– Je n’ai pas réfléchi. L’adrénaline m’a aidée à vouloir récupérer mes bijoux dans sa main droite. J’avais plus peur de son regard que de la lame visible dans sa main gauche. A sa hauteur, j’ai lâché: «Rends-moi mon collier!» Il m’a poussée très violemment et je suis partie en arrière, sur le dos. Je me suis éclatée par terre. J’ai atterri sur les coudes, mon dos a heurté les marches. Ma tête était intacte, heureusement. Le choc m’a coupé le souffle…
– Personne n’a bougé?
– Personne. C’est l’indifférence totale. Une jeune femme du bureau de la RATP est sortie de son guichet et elle est venue vers moi. Un homme, en passant, a dit le plus normalement du monde: «Il avait un couteau», et il a poursuivi son chemin. Moi, je n’arrivais pas à parler, je n’arrivais plus à respirer. Je me suis relevée et je suis allée vers mon chat. J’ai pleuré. La demoiselle m’a demandé si je souhaitais appeler les pompiers. J’ai répondu que non. J’ai pris le métro en larmes. Le voyage a duré une demi-heure.
– Vous avez pu appeler quelqu’un?
– J’ai envoyé un message à ma mère. Elle m’a appelée. Une fois à la gare de Lyon, j’ai pleuré sans discontinuer. Le premier réflexe est, me semble-t-il, de s’arrêter, dans ces cas-là, et de proposer de l’aide à une personne en détresse. Et là, toujours rien. C’est chacun pour soi. On se sent à l’extérieur de tout. On voit passer un flot humain, comme si nous vivions en dehors de la réalité.
– Aviez-vous déjà vécu cela?
– Oui. Un vol de téléphone dans une rame de métro. Trois personnes s’étaient écrasées sur moi et m’avaient fait les poches. Une autre fois, avec ma sœur Camille, en rentrant d’une soirée, j’avais une bouteille de bière à la main que je n’avais pas consommée. Un type a commencé à harceler ma cadette (23 ans, ndlr). Il voulait la toucher et lui disait des choses dégueulasses. Il était 22 heures. J’ai fait: «Si tu t’approches, je t’éclate la bouteille sur le crâne.» Il est parti. Personne n’a réagi.
– Vous avez déclaré sur Instagram vouloir quitter Paris. Vraiment?
– C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Après des mois de concerts, nous avons, avec Camille, rattrapé les shows annulés pendant le covid. Moi, je venais en Valais, à Anzère, retrouver ma mère et me reposer. Ensuite, j’allais rendre visite à ma grand-mère dans le Jura. Je voulais me reposer quelques jours, être bien. Pendant le trajet en TGV, j’ai continué à pleurer. J’étais choquée. Les femmes assises en face de moi ont détourné le regard. J’avoue que j’ai perdu foi en l’humanité… Entre Paris et Genève, j’ai écrit à la brigade de gendarmerie du IXe, dont j’avais l’adresse e-mail. Je déposerai plainte en rentrant.
– Où souhaiteriez-vous habiter?
– Avec Camille, nous avions fièrement acheté notre petit appartement parisien. Là, je songe à déménager et à revenir en Suisse. Idéalement, je voudrais m’installer en Lavaux; je cherche un 2 pièces. Je ne veux plus vivre dans un endroit où l’individualisme est omniprésent. Je n’ai absolument pas les épaules pour supporter toute cette violence ambiante. A Paris, lorsqu’on dit bonjour à quelqu’un, il le prend comme une agression. C’est autre chose en Suisse. Ici, les gens sont polis, on n’ignore pas l’autre. Je ne veux pas être loin de ma sœur. Je pense qu’elle ira vivre à Annecy, où nous avons grandi toutes les deux. Chacune a sa vie, mais, ensemble, nous avons nos habitudes et notre carrière.