Les voleurs de fraises hantent les nuits des villages agricoles du Vaucluse. À Caderousse, un bourg maraîcher posé entre le Rhône et Orange, la saison des larcins a commencé tôt. « Le 23 mars, au début de la récolte, on nous en a volé 80 kilos, raconte Christophe Charvin, 49 ans, montrant la serre où les voleurs se sont servis. Ils arrivent avec des lampes frontales. L’un d’eux fait le guet et prévient les autres par téléphone si quelqu’un arrive. » Ici et là, il pointe des percées de terre à travers la verdure : « Dans la manœuvre, ils arrachent des plants qui donnent pendant trois mois, une perte de plus. »
Disparition de fraises mais aussi de melons, d’asperges ou de tomates… S’il inquiète les producteurs du département, le phénomène est impossible à quantifier. « Je n’ai pas de chiffres car les vols ne sont pas recensés en fonction de l’objet dérobé », précise le procureur de Carpentras, Pierre Gagnoud. Aucune donnée non plus du côté de la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Vaucluse (FDSEA), qui a pourtant publié un guide de prévention à destination de ses adhérents : « La plupart des agriculteurs ne portent pas plainte car ça leur demande trop de temps, mais ces faits se répètent. Il y a aussi le sentiment que ça ne sert à rien de saisir la justice, vu que les voleurs ne risquent pas grand-chose. »
On craint « le geste de trop »
Résultat : comme beaucoup de ses pairs, Christophe Charvin – également victime de vols de tomates, d’asperges, de batteries de tracteurs et de moteurs diesel – en viendrait presque à baisser les bras. « Ça devient difficile, d’autant que la guerre en Ukraine fait flamber les prix du carburant, des engrais et des graines. » Cette année, la sécheresse menace aussi la récolte. Le maire du village, Christophe Reynier-Duval, est inquiet : « Depuis mars, cinq agriculteurs m’ont alerté, l’un d’eux s’est même retrouvé face à face avec le voleur dans son hangar. » L’édile, qui sent la tension grimper, craint « le geste de trop ».
Ça nous coûte cher ; ces larcins ne sont pas assez punis par la justice
Nul n’a oublié ici la double tragédie de 2010 : un trufficulteur condamné à huit ans de prison pour avoir abattu au fusil à pompe celui qu’il soupçonnait de voler ses précieux champignons. Le maire a pris les devants, organisant le 28 avril une réunion avec la gendarmerie, qui a promis d’intensifier les patrouilles tout en donnant des conseils : fermer les exploitations, ne pas laisser dehors le matériel d’emballage qui facilite le transport pour les voleurs, installer des caméras de vidéosurveillance… « Ça nous coûte cher ; ces larcins ne sont pas assez punis par la justice », s’agace Gérard Roche, également administrateur au syndicat agricole, dont le voisin s’est lui aussi fait dérober des fraises le 15 mai : « Cette fois, les gendarmes ont surpris le gars en flagrant délit. Il prendra peut-être un peu plus. » Beaucoup l’espèrent. Le procès est prévu le 8 septembre devant le tribunal correctionnel de Carpentras.