Vendredi, la Cour suprême des États-Unis a enterré l’emblématique arrêt Roe v. Wade, qui garantissait le droit des Américaines à avorter.
Dans une volte-face historique, la très conservatrice Cour suprême des États-Unis a enterré un arrêt qui, depuis près d’un demi-siècle, garantissait le droit des Américaines à avorter mais n’avait jamais été accepté par la droite religieuse. « La Constitution ne fait aucune référence à l’avortement et aucun de ses articles ne protège implicitement ce droit », écrit le juge Samuel Alito au nom de la majorité. Roe v. Wade « était totalement infondé dès le début » et « doit être annulé ».
Cette décision ne rend pas les interruptions de grossesse illégales, mais renvoie les États-Unis à la situation en vigueur avant l’arrêt emblématique Roe v. Wade de 1973, quand chaque État était libre de les autoriser ou non. La Cour suprême a ainsi rendu la liberté aux 50 États américains d’interdire l’avortement sur leur sol et une moitié devrait s’en saisir à plus ou moins long terme.
Un avant-projet d’arrêt avait fait l’objet d’une fuite inédite début mai, provoquant d’importantes manifestations dans tout le pays et une vague d’indignation à gauche. La décision va à contre-courant de la tendance internationale à libéraliser les IVG, avec des avancées dans des pays où l’influence de l’Église catholique reste forte, comme l’Irlande, l’Argentine, le Mexique ou la Colombie.
Le président Joe Biden a dénoncé une « erreur tragique » qui « met la santé et la vie de femmes en danger » et appelé les Américains à défendre le droit à l’avortement lors des élections de mi-mandat en novembre. Alors que les cliniques du Missouri, du Dakota du Sud ou de Géorgie fermaient leurs portes les unes après les autres, des États démocrates, comme la Californie ou New York, se sont engagés à défendre l’accès aux IVG sur leur sol.
La bataille entre les pro et anti-IVG se poursuit
L’arrêt de la Cour suprême couronne 50 ans d’une lutte méthodique menée par la droite religieuse, pour qui elle représente une énorme victoire mais pas la fin de la bataille : le mouvement devrait continuer à se mobiliser pour faire basculer un maximum d’États dans son camp ou pour essayer d’obtenir une interdiction au niveau fédéral. Elle s’inscrit aussi au bilan de l’ancien président républicain Donald Trump qui, au cours de son mandat, a profondément remanié la Cour suprême en y faisant entrer trois magistrats conservateurs (Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett) signataires aujourd’hui de cet arrêt.
Dans une partie du pays, les femmes désirant avorter seront donc obligées de poursuivre leur grossesse, de se débrouiller clandestinement, notamment en se procurant des pilules abortives sur Internet, ou de voyager dans d’autres États, où les IVG resteront légales. Anticipant un afflux, ces États, le plus souvent démocrates, ont pris des mesures pour faciliter l’accès à l’avortement sur leur sol et les cliniques ont commencé à basculer leurs ressources en personnel et équipement. Mais voyager est coûteux et la décision de la Cour suprême pénalisera davantage les femmes pauvres ou élevant seules des enfants, qui sont surreprésentées dans les minorités noires et hispaniques.
L’arrêt publié vendredi « est l’un des plus importants de l’histoire de la Cour suprême depuis sa création en 1790 », remarque le professeur de droit de la santé Lawrence Gostin. « Il est déjà arrivé qu’elle change sa jurisprudence, mais pour instaurer ou restaurer un droit, jamais pour le supprimer », dit-il à l’Agence France-Presse.
Des politiques différenciées en fonction des États
Treize États, surtout dans le Sud et le centre plus religieux et conservateur, se sont dotés ces dernières années de lois dites « zombie » ou « gâchette » rédigées pour entrer en vigueur automatiquement en cas de changement de jurisprudence à la Cour suprême. Elles interdisent les avortements avec des nuances : l’Idaho prévoit des exceptions en cas de viol ou d’inceste, le Kentucky uniquement en cas de danger pour la vie de la femme enceinte ; la Louisiane prévoit jusqu’à dix ans de prison pour les professionnels de santé, le Missouri jusqu’à 15…
Vingt-deux États, surtout sur la côte Ouest et dans le Nord-Est, conserveront le droit à l’avortement. Et certains ont même pris des mesures pour élargir l’accès aux IVG, notamment en autorisant davantage de professionnels de santé à les pratiquer ou en augmentant les financements des cliniques. Prenant acte du risque juridique, la puissante organisation Planned Parenthood ne planifie aucun avortement à compter de la fin juin dans le Wisconsin. Ou le gouverneur démocrate défend le droit à l’avortement mais pas les parlementaires républicains majoritaires.
À l’international, plusieurs voix, dont celles des Premiers ministres britannique Boris Johnson et canadien Justin Trudeau, ont d’ailleurs déploré le « retour en arrière » américain. En France, le président Emmanuel Macron a regretté la « remise en cause » des libertés des femmes. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a déclaré que Washington comptait cependant poursuivre le soutien aux « droits de la santé reproductive » à travers le monde.
Le rôle clé de Donald Trump
L’arrêt couronne cinquante ans d’une lutte méthodique menée par la droite religieuse, pour qui il représente une énorme victoire mais pas la fin de la bataille : le mouvement devrait continuer à se mobiliser pour faire basculer un maximum d’États dans son camp ou pour essayer d’obtenir une interdiction au niveau fédéral.
Il s’inscrit aussi au bilan de l’ancien président Donald Trump qui, au cours de son mandat, a profondément remanié la Cour suprême. Notamment en y faisant entrer trois magistrats conservateurs (Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett) signataires aujourd’hui de cet arrêt. Cette décision, « c’est la volonté de Dieu », s’est félicité le milliardaire républicain sur la chaîne Fox.
Selon l’institut Guttmacher, un centre de recherche qui milite pour l’accès à la contraception et à l’avortement dans le monde, la moitié des États devraient interdire à plus ou moins court terme les avortements. Washington compte par ailleurs poursuivre le soutien aux « droits de la santé reproductive » à travers le monde, a déclaré vendredi le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken.
Le département d’État « va rester totalement déterminé à faciliter l’accès à des services de santé reproductive et à favoriser les droits de la santé reproductive à travers le monde », a dit le secrétaire d’État dans un communiqué. Antony Blinken a aussi assuré que ses services « feront tout ce qui est possible » pour que l’ensemble des employés du département d’État puissent y avoir accès, « où qu’ils habitent ». « Nous ne flancherons pas vis-à-vis de cet engagement », a-t-il ajouté.